Nous sommes habitués à la figure de l’artiste en tant que créateur protéiforme, créateur de choses qui transcendent l’existence quotidienne et offrent des fenêtres sur un monde possible s’étendant d’un esprit et d’une main fertiles et flexibles. La pratique artistique d'Aganetha Dyck pose depuis des décennies des questions difficiles à ce modèle. En invitant les abeilles à modifier à la fois ses œuvres d'art et les objets du quotidien qui nous définissent, elle abandonne le contrôle sur les produits finis que nous considérons comme des emblèmes de la réussite humaine. Des luxueuses figurines en porcelaine aux talons aiguilles, en passant par les casques de football et l'impressionnant métier d'un casier à homard, les objets de perfection sont livrés au humble travail de minuscules insectes. Et, le temps de cette exposition, l'espace de la galerie sera habité par ces invités, reliés au monde extérieur par un tube de plexiglas. Le travail de l'artiste est étroitement lié à un projet en cours, une architecture en nid d'abeille qui, bien que menacée, se poursuit sans cesse et offre son propre modèle de perfection en constante évolution.

Les abeilles et leur travail sont les invités de la galerie. Cela les place (ainsi que leur imprésario) dans une position particulière de dépendants, d’une part, et de subtils transformateurs, d’autre part. Libres d'aller et venir, ils offrent depuis leur maison temporaire une rencontre avec un état d'être différent - collectivement organisé, suivant son propre temps, nous instruisant et nous rappelant l'humble travail qui maintient les plantes en croissance et les cycles de la nature en jeu. Les abeilles sont, bien entendu, des ouvrières, une catégorie dont les artistes ont souvent pris grand soin de se démarquer ; Aganetha Dyck propose, à travers son travail avec les abeilles, que l'art et le travail soient pensés ensemble, comme des processus essentiellement parallèles. Dyck appelle ses interactions avec les abeilles des expériences de « communication interspécifique ». Les insectes nous transmettent un message venu d’ailleurs, leur plateforme temporaire aussi pleine de potentiel de transformation qu’un retable. Reste à savoir si nous y parviendrons ou non.

-Pan Wendt, conservateur